Lettres de François FLAMENG à Paul Edouard ROSSET-GRANGER
Lettre du 10 mai 1894
(Quatre feuillets manuscrits)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« Gatchino, Palais Impérial (1),
10 mai 1894,
Ma vieille Cocotte,
Je suis une affreuse rosse, un dégoutant, de ne pas d’avoir encore écrit ; ta gentille et affectueuse lettre me remplit de remords. Je me roule à tes pieds plein de repentirs. Pardonne, O doux Rosset !! Sois généreux, ma bourgeoise exige une correspondance terrible, qui absorbe tous mes loisirs. Enfin m’y voici.
Merci de ta lettre, c’est un rayon de soleil qui pénètre dans mon cloître impérial, un peu de toi, de ta bonne et réelle amitié qui m’arrive. Je vois en ce moment ta bonne binette, avec l’inévitable bouffarde et me voici rue d’Armaillé ou rue Emile Allez en train d’en tailler une délicieuse et d’être des mortels bienheureux qui font beaucoup de fumée et peu de peinture.
Si tu savais ce que l’on s’embête ici ?? C’est à en crever. Le spectacle de ce cantonnement impérial, me fait savourer ma douce indépendance, combien nous sommes plus heureux nous autres barbouilleurs, que ce pauvre brave homme d’empereur (2), qui ne peut pas faire un pas sans être escorté d’une armée, qui ne peut pas pisser tranquillement, qui est forcé de vivre dans une forteresse, derrière des murailles énormes, des fossés, des canons, des cosaques, etc, etc. Et pourtant c’est un brave homme, un Louis-Philippe Russe. Je viens de terminer aujourd’hui le portrait de sa très aimable, très gracieuse et très spirituelle compagne (3). Ouf !!! Quel coup de mains dans l’estomac !! Quand j’y pense maintenant, je me demande comment j’ai eu le toupet d’oser entreprendre un pareil travail ; c’était à se casser les reins quarante fois pour une. J’en suis sorti, et pas trop mal. Mais, quels fichus moments j’ai eu à traverser !! Quelle frousse, quel démontage !! Quelles souffrances et quelles inquiétudes. Est-ce bien ? Sont-ils contents ? C’est peut-être atroce. Est-ce que je vais en sortir ? Etc, etc… et la folle imagination marche, marche comme une détraquée. Je me souviendrai toute ma garce de vie de ma première séance d’après la princesse Xenia (4), fille de l’Empereur. J’arrive en habit noir, ne connaissant personne de la Cour (tu vois ma gueule), l’Impératrice assise, entourée de sa fille, timide comme une jeune biche et je commence, impossible de faire donner un mouvement à cette malheureuse effarouchée, ses bras et ses jambes étaient collés. L’impératrice était dans mon dos, encadrée de deux dames d’honneur. Je suais comme un bœuf. J’avais l’air du monsieur qui fait des tableaux en cinq minutes aux Folies Bergères. Enfin je commence en n’y voyant pas clair, ça brillait, ma toile était comme un miroir… nom de nom ! Quelle joie quand j’ai été dans la rue, mais quelle inquiétude (je ne pourrais jamais en sortir), je me suis cramponné comme un bon diable, j’ai déployé toute mon énergie et j’en suis sorti. Maintenant tout ce qui me reste à faire me semble de la blague, je pourrais peindre l’Éternel d’après nature sans la moindre émotion.
Pour l’Impératrice ça a mieux marché, j’étais de la maison, on était content de mon premier navet, ça me donnait de l’aplomb, aussi ai-je travaillé avec grand plaisir sans me tourmenter, tout à la peinture et à mon sujet.
On est satisfait et moi aussi. Y a du bon !!! Mon vieux, mon estimable couillon.
Je quitte Gatchin0 demain et me réinstalle à Petersbourg sans continuer la série des binettes grandes ducales et princières. Je voudrais bien rentrer avant la fin juin pour voir les Salons et me retremper au contact des jeunes et des inconnus qui apportent quelque chose de neuf. En somme, je suis très satisfait, mon opération réussit au-delà de mes espérances. Oh si cela était à Paris !!! Enfin…
Je vois avec joie que tu as un travail amusant et qui t’amuse (5). Bravo ! Mon vieux tu ne l’as pas volé. Et je suis convaincu que tu vas nous pondre une chose charmante, je suis convaincu également, que suivant ta louable habitude, tu t’es laissé rouler pour le prix. L’endroit où tu seras placé n’est pas distingué, mais admirable pour y être vu. C’est comme si l’on exposait place de la Madeleine ; tout Paris pourra te déguster et voudrait bien que ce travail en amène d’autres, car tu as cinquante fois plus de talent qu’un tas que je ne nomme pas et qu’on étouffe sous le Ruban officiel, c’est à dégouter du Vermillon. Ce jeune F… de Benner et la croix d’officier du mystique Béraud… !!! Il faut en rire. Pendant que Besnard et d’autres se brossent le ventre.
Me voici au bout de mon papier. Mets-moi aux pieds de la chère mère et à toi accolade fraternelle.
François Flameng.
Amitiés à Guillaume Dubufe et sa gente femme ».
Notes du transcripteur :
(1)Gatchino est une ville du district de Saint-Pétersbourg, situé à 45 km au sud de cette ville. En 1765, la Grande Catherine de Russie y fit édifier un palais de 600 pièces.
(2) Il s’agit de l’Empereur Alexandre III, né le 10 mars 1845, décédé le 1er novembre 1894.
(3) Il s’agit de la femme d’Alexandre III, la princesse Dagmar de Danemark (1847-1928).
(4) Il s’agit de la Princesse Xenia Alexandrovna (1875-1960), 4e enfant du couple qui en aura 6 dont l’ainé Nicolas II (1868-1918), succèdera à son père sur le trône de toutes les Russie.
(5) Il s’agit du plafond intitulé « La tasse de thé », exécutée pour le nouveau Café Riche, boulevard des Italiens, inauguré le 5 juin 1894.
Lettre du 26 mai 1894
(Quatre feuillets manuscrits)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« Saint-Pétersbourg, Hôtel d’Insape,
Samedi 26 mai 1894,
Mon cher Rosset,
Ta bonne et spirituelle missive m’a fait passer un bon moment, je me gondolais en lisant ta lettre et j’étais touché en même temps ; car vraiment il m’est doux de voir un ami et un confrère par-dessus le marché partager notre joie.
Voila un spectacle rare, ma vieille Cocotte, on pourrait dire presque unique, un peintre qui se réjouissait du succès d’un confrère !! Viens dans mes bras que je te donne une affectueuse accolade. Tu es un brave et si tant de monde t’aime, tu ne l’as pas volé.
Moi, je continue à piocher comme un enragé ; je vois l’heure du retour poindre à l’horizon comme un beau soleil qui se lève ; je me fais une fête de fouler le pavé de la rue d’Armaillé (1). Quatre mois loin des siens, c’est bougrement long. Il est vrai que je n’ai pas à regretter cet exil ; il est doré sur toutes les tranches et d’une porté inestimable pour moi. Je me sens plus léger quand je n’ai affaire qu’à des grands ducs. Je peux les faire tenir en place et mes séances sont raisonnables. Il est vrai que j’ai toujours sept ou huit personnes derrière moi qui suivent attentivement les mouvements de mon pinceau ; j’y suis habitué maintenant, si cela continue je ne pourrais plus peindre autrement ; ces services sont le sport du moment. Avoir eu l’honneur de me contempler pendant une heure est devenu le dernier cri du chic. C’est bête à pleurer et comique en même temps, et si l’Éternel coche Bouguereau je suis tout préparé. Les anges ne pourront m’intimider, car j’imagine que les vieux maîtres qui me feraient trembler sont tous au purgatoire en train de fumer la pipe de l’amitié.
Encore un mois de cette vie de commis-voyageur et je me précipite joyeusement rue Allais (ou Allez).
Tu as sûrement raison, quant aux confrères, je ne suis pas fâché de les faire un peu rager ; Il y a assez longtemps que mes épaules supportent le poids de leurs rosseries. Je n’ai pas à cacher ma joie et ma satisfaction. Je n’ai rien pris à personne et suis bien calme, quoiqu’au fond du cœur je les excuse, sachant combien la vie est dure et injuste pour beaucoup d’entre eux ; ma vie a été trop heureuse, et je m’en suis toujours rendu assez compte, sans que je pus avoir compris, combien ma veine insolente devait me faire des ennemis dans le monde de l’huile de lin et puis de ne pas leur avoir pardonné.
Mais en voila assez sur moi ; tu es un amour d’aller voir ma ménagère de temps en temps, cela la remonte, car elle commence à trouver le temps long. Tous les amis du reste ont été charmants pour elle, en particulier le bon Guillaume et la délicieuse Cécile (2). Ce sont des braves gens que j’aime tendrement ; quel malheur que ce brave garçon se dépense en futilités et perde son temps à des choses indignes de lui ! Enfin, ne lui demandons qu’une chose, qu’il a du reste surabondamment, c’est d’être un brave et excellent homme. Je me fais une fête de voir ton plafond, je suis convaincu qu’il est charmant, car vu, ce qui a dû t’amuser, on le sent dans tes lettres, il n’y a rien de plus passionnant que ces grandes machines ; tout jusqu’au côté ouvrier est bien fait pour réjouir.
Tu ne me parles pas de ton tableau, je vois d’après le catalogue du Champ de Mars, qu’il n’y figure pas, c’est un de ces tableaux enrageants qui nous tourmentent et nous font passer des nuits blanches ; le mieux est de les retourner et de n’y plus penser ; un beau matin on trouve la solution au moment où l’on s’y attend le moins.
Tu as bien fait de ne pas ménager les Béjot, ils sont extrêmement riches et extrêmement pingres ; il faut, du reste, que tu augmentes tes prix petit à petit ; les portraits sont, souvent, par trop assommant, au moins faut-il avoir une récompense pécuniaire ; je suis convaincu que tu t’en es tiré avec honneur, et que cela t’en amèneras d’autres.
Buchons, mon vieux, il n’y a que ça de bon ; j’ai hâte de rentrer et de me payer des tartines de mon goût et pour moi. Je pourrais bientôt ne plus faire que ce qui me convient ; il faut songer à devenir un vrai artiste ; plus de saludonneries, plus de ces cochonneries, que j’ai honte de revoir, mais que les charges de la vie m’ont souvent forcé à faire. Il va falloir devenir sévère pour moi-même, et ne plus laisser rien sortir de mon atelier dont je ne suis absolument satisfait. Je ne suis pas encore trop vieux, je me sens plein d’ardeur et je pourrai rattraper le temps perdu. Car, vois-tu, au fond du cœur, j’ai souvent des doutes sur ma valeur réelle, et je trouve que la fortune me traite avec trop de partialité.
Mets aux pieds de chère et bonne mère mes affectueux hommages et à toi, un tas de choses très tendres et très sincères.
Ton F ».
Notes du transcripteur :
(1) François Flameng avait son atelier 18 rue d’Armaillé dans le 17e arrondissement de Paris, à deux pas de celui d’Édouard Rosset-Granger, situé 5 rue Émile Allez à l’époque.
(2) Il s’agit du peintre Guillaume Dubufe (1853-1909) et de son épouse Cécile Woog.
Lettre du 26 janvier 1910
(Huit demi-feuillets manuscrits).
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« 130 West, 57th Street, New York,
Mon bon vieux,
Merci de ton affectueuse lettre. Cela fait doublement plaisir tandis qu’on est loin de ses amis, car je suis terriblement seul, en ce bon patelin. Je vis par mes souvenirs et je pense souvent à vous deux ; je revois la belle fée blonde qui charme ta vie (1) et lui donne sa poésie, et je vous souhaite à l’un et à l’autre qu’un peu plus de galette, car pour le reste vous n’avez rien à souhaiter.
L’amour et l’amitié d’une belle et brave femme vous permettent de supporter bien des ennuis et puis la nature l’a gratifiée de goûts modestes et de philosophie.
Ma chère femme a bien fait d’envoyer des bonbons à ta camarade, cela ne m’étonne pas, son cœur connait toutes les délicatesses et je me réjouis moi aussi de posséder un être pareil. Oh ! la brave femme ; il n’y a que dans notre pays que l’on puisse rencontrer ces manières magnifiques, composées de tendresse inlassable, de bienveillance et de bonté toujours en éveil.
Je loue la vie qui m’a donné la joie de connaitre le bonheur et le calme absolu chez moi ; si je buche comme un nègre, c’est pour donner à tous ces êtres qui vivent pour moi le bonheur et l’aisance que je leur dois en échange des satisfactions qu’ils ne cessent de me donner. Je voudrais leur laisser la fortune nécessaire, les sentir à l’abri après moi ; c’est mon éternel souci, car rien ne doit être plus douloureux que de connaitre la médiocrité après avoir vécu dans le luxe. Je sais bien que mon admirable femme aurait tous les courages, mais je veux qu’elle et les enfants ignorent un jour ces tristesses. Aussi, mon vieux, je retrousse mes manches et je turbine comme un galérien, avec entrain et courage ; quand je me sens un peu fatigué je pense à ma tendre nichée et tout de suite j’oublie la courbature.
Et puis, au fond, cela m’amuse, je suis une espèce de machine à peindre, et quand je vois mon atelier rempli d’un tas de binettes blondes, rousses ou brunes, je me sens tout joyeux. Le travail est ma vie, sans lui que deviendrais-je ? Par moments je craque un peu, quand j’ai à peine le temps d’aller pisser, mais je serais malheureux qu’il en fût autrement. Je me sens rassuré sur l’avenir, après cette dure campagne je pourrais me reposer et c’est pour moi un grand soulagement, un grand repos de commencé; j’ai fait pas mal de bêtises dans ma garce de vie, mais, tout cela est réparé et je suis tout heureux du doux chemin accompli. Oh certes il y a de sacrés moments ; quand on passe huit jours sur un bateau à être secoué dans tous les sens et à se dire : Est-ce que ça marchera ? Est-ce que le jour n’est pas au bout de l’Expédition, aussi le retour ridicule et la joie des camarades et des amis ? Avoir des presque certitudes, mais dans le terrible métier de portraitiste, surtout ici, rien n’est certain.
Enfin ! Me voici loin de ses souvenirs, et si je les rappelle, c’est pour mieux me réjouir du présent qui dépasse tout ce que j’aurais pu espérer au mieux rêver. J’en ai abattu pour près de 200.000, et je ne suis pas au quart de ma besogne. Mais qu’elle vie, mon vieux, pour s’y reconnaitre au milieu d’une dizaine de portraits, pour me pas bousiller, pour faire de son mieux et ne pas fabriquer des navets d’exportation comme tant de nos illustres confrères ont eu le tord d’en laisser ici. Il faut un calme et une patience admirables et je remercie sans cesse la destinée qui m’a enrichi des qualités et de la force morale indispensables à ce genre d’exercice. Peut-être cela vaut-il mieux ? Peut-être cela convient-il mieux à mon tempérament ? Je pense que je fais des progrès, que ma matière est plus riche et plus savoureuse. Je ne sais si je serais jamais un grand artiste, mais je pourrais dire que j’ai aimé la peinture et qu’elle m’a rendu bien heureux.
De 9 heures du matin à la nuit, et quelque fois à la lumière je bosse sans relâche ; quelque fois en rentrant de soirée je fais un tour dans mon atelier, je regarde le travail de la journée et je me mets à faire des changements. Ces grandes journées de labeur me sont d’une douceur sans mélange ; c’est comme un virus, un soleil qui vous met de la gaité au cœur, qui nous exalte de cerceau, mais qui, hélas nous flanque des courbatures et des douleurs dans les reins ; mais, il faut mépriser ces inconvénients tant que ça peut marcher. On en pince pour recommencer le lendemain. La vie passe aussi rapide, somptueuse et superbe.
J’ai une charmante installation, un bon atelier, je n’en sors guère, car je n’ai pas le temps d’aller faire des visites qui m’assomment. Je suis, pour ainsi dire, dans ma boîte à couleur. Adieu les petites sorties, je ressemble à un bénédictin, sans la barbe et je suis content comme cela, si j’étais un peu moins loin de ceux que j’aime, de mes amis, hélas ! si rares, de mes habitudes je n’aurais rien à souhaiter.
J’ai fait une exposition qui a réussi. J’avais un peu le trac, car mes confrères américains ne sont guère plus tendres que mes confrères français et la presse a eu beaucoup d’importance. J’ai pris des précautions et n’ai pas été éreinté ; cela a marché comme sur des roulettes et les commandes pleuvent sans arrêter ; mais aussi fonctionne sans discontinuer, ça ronfle et je suis tout heureux, car, dans la vie, j’attends toujours le pire, par prudence et par expérience.
Quand vais-je revenir ? Je n’en sais plus rien. Je voudrais terminer mon travail puis rester un peu chez moi. Je vais pas mal, sauf la fatigue que me procure naturellement un pareil métier ; pourtant depuis deux ou trois jours je me sens beaucoup plus vigoureux. On est content de mes travaux, cela me donne des jambes. Quelle vie de ne plus avoir trente ans, quand le cœur et la cervelle les ont toujours ! Mais, je ne dois pas me plaindre, je suis un heureux de la terre, si je me flanque du mal, j’en suis récompensé au-delà de ma nuit et de mes efforts.
Mais tu dois commencer à en avoir assez de bavardage. Embrasse la belle blonde pour moi ; c’est une commission qui ne te seras pas désagréable et à toi mon bon vieux l’assurance de ma vieille affection.
François Flameng.
Amitiés à Agache, le … de la peinture.
Si tu entends quelque chose à propos des tableaux Dubufe, avertis moi ».
Notes du transcripteur :
(1) Il s’agit de Christa-Adèle Dehaye dite Marcelle (1882-196(), compagne de Rosset-Granger depuis l’été 1902 et épousée le 27 décembre 1917.
Lettre du 5 avril 1910
(Huit demi-feuillets manuscrits).
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.
« 130 West, 57th Street, New York,
Mon bon vieux,
Tu ne sauras jamais combien il est doux de recevoir une longue lettre, pleine d’affection et des nouvelles quand on moisit de l’autre côté de l’océan. Du coup j’étais transporté à Paris et ma pensée était installée avenue de Villiers dans ton gentil studio (1) où j’ai revu ton bon sourire amical, ta bonne bouffarde et les jolis yeux de la blonde qui ensoleille ton existence. Merci donc, mon vieux, pour la peine que tu as pris de m’envoyer un tas de nouvelles, bien faites pour me réjouir et m’intéresser. Merci encore pour ce que tu veux bien de dire pour mes envois au Cercle (2) et de ma carrière en général. Je t’avoue que cela me fait plaisir et me console un peu des éreintements dont on me gratifie depuis si longtemps. J’ai mis sur mon dos un imperméable et je ne m’en porte pas plus mal. Seulement, je doute toujours de moi; je me monte le coup pendant mon travail, mais une fois achevée, ma besogne est toujours une désillusion et j’en arrive souvent à penser que mes éreinteurs n’ont pas tout à fait tort. Aussi quand un ami, nous chante un petit air de fête, c’est comme un coup de soleil qui entre dans notre atelier, pour quelques instants on croit que c’est arrivé. Si tu savais comme je voudrais recommencer ma carrière pour apprendre autrement, pour corriger mes défauts ; je me désole en pensant que je suis trop vieux pour y parvenir ! Enfin il faut tout de même remercier la vie, quand elle a été bonne et indulgente comme elle l’a été pour moi. Si mes navets ont fait bonne figure, j’en suis tout heureux. Car il faut toujours être sur la brèche et tacher de ne pas dégringoler, ou de ne pas se ficher le doigt dans l’œil comme le fait le connard dont tu parles dans ta lettre. Trop de conscience et puis aussi trop de joueur de flute, en extase perpétuelle, devant les œuvres de ce grand artiste à qui l’on ne peut plus faire une ombre d’observation. Je crois que l’éreintement est une meilleure école que la flagornerie.
J’ai appris avec tristesse que tu avais donné ta démission du Cercle et cela pour deux raisons ; la 1ère parce que nous ne t’y reverrons plus et que les gens comme toi sont rares partout mais surtout dans un endroit où les Victor pullulent ; la 2ème parce que cela veut me prouver que l’état de tes finances n’est pas mirobolant. Crois-moi mon vieux que je ne souris pas quand tu me parles de tes prix de vente, je sais ce que c’est et rien ne m’émeut plus que le spectacle d’un artiste de grande valeur luttant pour le morceau de pain.
Tu sais que ma bourse est la tienne, aux heures pénibles et passagères, tu me trouveras toujours là ; trop heureux si je peux t’éviter de toucher à ton petit magot. Heureusement que tu prends ça avec philosophie, tu as près de toi ta palette et près de ton cœur une jolie blonde qui te consolent et te font espérer. Moi, aussi je trime, pas pour la bouchée de pain, mais pour beaucoup de pains, car j’ai derrière moi toute une nichée, toute une famille à qui je dois laisser de quoi vivre et leur conte ce qui est arrivé à ton charmant voisin (3) et vois bien que ça n’est pas toujours drôle et que la vie que je mène ici est souvent abominable. Tous ces mufles, toutes ces brutes à qui j’ai affaire vous mettent hors de vous et a certains moments on a envie de tout envoyer promener; mais alors je pense à tous ceux qui vivent pour moi, à qui je dois le bonheur et je reprends courage, j’écoute stoïquement toutes les critiques ineptes que l’on me débite du matin au soir comme si j’étais un crétin qui commence à faire de la peinture. Critiques sur tout, critiques débitées avec une insolence et une brutalité invraisemblables.
Enfin ! C’est le purgatoire, à bientôt, le Paradis, rue Ampère, où je vais retrouver tout mon cher petit monde, en ayant moi-même quelques sous de plus dans mon coffre-fort.
Tu as raison de penser que le petit début de ma grande fille (4) m’a procuré une très grande joie. Quand j’ai reçu la Revue sans avoir été averti de rien, j’ai ressenti une émotion profonde en voyant le nom de mon enfant chérie imprimé sur la couverture jaune et ces quelques lignes me semblaient infiniment douces à lire, j’étais ému et heureux, attendri et ravi comme si j’entendais une musique magnifique chanter à mes oreilles. C’est une des grandes joies de ma vie ; j’en suis encore tout heureux, car, cela va stimuler le jeune auteur, lui donner du courage et surtout de la confiance, car elle aussi est une éternelle douteuse, toujours mécontente. Je sais qu’elle travaille comme une enragée et qu’elle a plusieurs choses sur le chantier. Elle n’a pas voulu que l’on publie son essai sur …, mais on va l’imprimer, en tirer une cinquantaine d’exemplaires pour les amis bienveillants comme toi. J’étais bien inquiet sur l’avenir de cette belle et supérieure enfant ; maintenant je suis rassuré, elle a un but dans la vie et son existence peut être magnifique. Oh comme j’applaudirai à ses succès, comme ils me seront doux comme les miens !
Merci encore pour les renseignements que tu me donne à propos des tableaux. Je comprends et partage ton sentiment à un tel point que je n’ai jamais osé aborder cette question avec aucun membre de cette gentille famille, ce qui fait que les tableaux seront probablement vendus à d’autres, au prix que je les aurais payé, car je donnerais très bien 12.000 francs du joueur de flute qui ne vaut guère plus et 2.000 francs pour le dessin d’Ingres qui vaut plus de 1.800 francs. Seulement cet homme pieu de Mathey (5) a donné une expertise qui lui sera favorable car il doit espérer faire une petite affaire sur ce dessin. Enfin ! Tu verras s’il y a quelque chose à faire.
Au reste je pense partir la semaine prochaine et me trouverai à Paris à la fin du mois ou tout au moins dans les premiers jours de mai. J’ai fini à New York, mais, j’aurais dû aller le mois dernier à Washington ; comme je n’ai pas pu le faire, il se peut que cette affaire ce soit volatilisée ; au fond je n’en serais pas fâché car j’ai hâte de rentrer et d’être chez moi. Cela a marché comme l’an dernier, c’est-à-dire admirablement. J’ai descendu 14 portraits, dont quatre grands, et je te prie de croire qu’il ne faut pas flâner pour obtenir ce résultat. Je ne me sens pas du tout fatigué grâce à mon installation. L’année dernière, j’allais travailler à domicile, ce qui est éreintant, tandis que cette année au vient poser dans mon atelier. Plus de vie d’hôtel, un bon chez soi dont on ne sort presque plus, toute la journée et même la nuit. En-tête à tête avec toutes ces toiles, toutes ces binettes aux quelles on pense, on réfléchit pour trouver des arrangements et des améliorations. Grâce à cela le temps a passé assez vite et je me suis fourré un vrai bain de peinture dont je me souviendrai longtemps ; il me semble que si l’on pressait mes doigts il en sortirait du blanc d’argent.
Adieu, mon cher, je vais me coucher car il est bientôt une heure du matin et j’ai à bucher demain matin de très bonne heure, j’achève un portrait sur pied et c’est le terrible jour de la visite finale du mois.
Adieu ami. Embrasse la belle blonde et à toi ma vieille et pure affection.
François Flameng ».
Notes du transcripteur :
(1) Adresse du nouvel atelier d’Edouard Rosset-Granger depuis le 6 avril 1902 : 45 avenue de Villiers, Paris 17e, juste à côté de l’hôtel particulier de Guillaume Dubufe situé au 43 de la même avenue.
(2) Il s’agit de l’exposition annuelle du Cercle de l’Union Artistique qui se tient en mars, 8, rue Boissy-d’Anglas à Paris.
(3) Allusion au peintre Guillaume Dubufe, disparu tragiquement sur un bateau transatlantique, le 25 mai 1909, au large de Montevideo.
(4) Il s’agit de Marie Flameng (1884-1969), deuxième enfant de François Flameng.
(5) Paul Victor Mathey, artiste peintre français (1844-1929).
Lettre du 5 janvier 1911
(Quatre demi-feuillets manuscrits).
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« 130 West, 57th Street, New York,
Mon bon vieux,
Merci pour ta bonne et affectueuse lettre. J’étais tout heureux en la recevant, ce matin ; tout heureux de ta chaleureuse effusion et aussi des bonnes nouvelles qu’elle contenait. Bravo ! Si l’affaire du portrait est en route ; avec ces sacrés américains rien n’est certain, qu’une fois les choses commencées et tant que ton travail n’était pas ébauché j’avais peur d’une grave désillusion pour toi. Cher ami, il m’est doux de pouvoir être agréable au brave et vieil ami que tu es et de pouvoir faire sourire la gentille camarade qui fleurit ta vie. Je sais, hélas, combien il est surement peu aisé de travailler sereinement avec des préoccupations d’existence et combien quelques billets de mille peuvent donner de bonheur et de calme dans la vie. Tu as l’air tout heureux et je m’en réjouis. Tu vas commencer un tableau (1). C’est gentil ça ! Mais nous serons toujours comme des débutants qui rêvent de décrocher toutes les timbales et qui ne se laisseront jamais d’usager d’infinies Pégases. Ah, mon bon vieux, il n’y a que cela de vrai ; se monter le coup, essayer le chef d’œuvre qui nous dégoûte une fois touché ; mais qui nous a donné des heures de joies et d’émotions rares tandis qu’on cuisinait son petit pâté. Je suis hanté de l’idée de lâcher toutes ma sale clique de mohicans, toutes ces gueules de …, pour me remettre à des tartines où je dépenserai de l’argent et où comme récompense je serai traité de vieux con par la jeunesse respectueuse et géniale. Mais, je m’en ficherai, si je puis m’amuser avec cette vieille amie qui s’appelle la Peinture, qui ne se laisse plus aussi aisément peloter que lorsque nous avions 30 ans, mais, qui a encore, parfois, quelques bons regards pour ses vieux amoureux incorrigibles.
Je buche comme un nègre, j’ai repris ma vie de forçat du pinceau, avec tous ses ennuis, mais j’avoue que je commence à en avoir assez ; maintenant que j’ai quelques petits pains dans mon garde manger et que je peux vivre sans laisse ma marmaille dans la sale misère, je deviens un peu vache ; et le succès me terrifie. Peindre dès l’aurore jusqu’à la nuit noire est une volupté ; mais se sentir loin de tout ce que l’on aime, entourée de brutes et d’idiotes; de snobs et de mufles est une sensation qui devient insupportable. En arrivant, je me suis mis au turbin. J’avais quatre gueules qui m’attendaient, je passe de l’une à l’autre assez allègrement, on dirait que je suis ici depuis six mois ; tout cela sera bien vite achevé, pour faire place à d’autres binettes ; mais, j’ai bien peur qu’à un moment donné, quand j’aurai raisonnablement rempli ma bourse, je ne lâche des commandes et ne rentre au bercail. J’ai eu un déchirement affreux en quittant les chers miens, tous ces êtres qui vivent par moi, je ne pourrais plus recommencer, c’est trop douloureux. J’irai peut être me balader, de temps à autre, dans d’autres contrées, mais moins lointaines, moins insupportables et puis je gagnerai toujours assez d’argent pour faire bouillir ma marmite et me payer de temps à autre un bon petit bibelot.
A propos de bibelot ce que tu me dis de Mathey ne m’étonne pas. Il aurait dû rire et écrire une lettre d’autant plus gentille à cette femme qui croyait lui faire un grand plaisir. Mais ! C’est une bonne rosse ; il était particulièrement mécontent que ces deux objets soient passés chez moi. Il est navré de voir des peintres ou des artistes lui acheter quelque chose, il .nous sali tant qu’il peut et malgré cela on fait tout de même de bonnes avec ce confrère attristé d’être devenu un simple marchands d’objets d’art. Plaignons-le !
Adieu, mon bon vieux, je vais me coucher. La santé est bonne, le courage aussi. Tout irait à merveille dans cette sacrée nostalgie qui me mou le cœur douloureusement.
Embrasses la belle blonde, et à toi ma vieille et sure affection.
François Flameng ».
Notes du transcripteur :
(1) Il s’agit probablement de la toile intitulée « Portrait de Madame M. P… », exposée par Rosset-Granger au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris en 1911 sous le numéro 1130).
Lettre du 19 juillet 1912
(Quatre demi-feuillets manuscrits)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger en voyage à Venise.

« La Tourelle – Septeuil (S. & O.) (1)
Mon bon vieux,
Voici un temps infini que je veux répondre à ta première carte, quand arrive la seconde, mais j’ai été terriblement bousculé en cette fin de saison. Me voici aux champs, ma femme a caché mes couleurs et mes pinceaux et je suis contraint à une manière de repos tout de même agité par un tas de fonctions qui prennent du temps et nous dérangent sans aucun profit. Merci donc mon vieux de ton gentil souvenir ; je te vois devant Carpaccio, dans la grande salle du musée (2); ce doit être une matière de supplice d’être retenu devant ce magnifique artiste tandis que l’on aimerait vadrouiller au dehors, dans ce merveilleux bibelot qui s’appelle Venise. Il serait beaucoup plus gai de déambuler le long des canaux que de rester cloîtré dans un musée, même devant un chef d’œuvre. Tout de même tu dois d’amuser et te rincer l’œil et celui de ta chère compagne au sortir de ton travail. J’aimerai être avec toi pour discourir, malheureusement je voyage beaucoup mais la destinée me conduit toujours dans des endroits très laids et très ennuyeux. J’aimerai flâner à Venise avec une femme dont je serais très amoureux, c’est le pays fait exprès, comme je ne puis flâner et que je ne suis pas amoureux, je me contente de penser à ce rêve problématique. A part cela, tout va bien, ma vieille carcasse lézardée, se tient encore assez bien, je sens toujours en moi un fond d’enthousiasme et beaucoup d’ardeur ; j’arrive bien à négliger les nombreux emmerdements qui ne cessent d’assaillir un monsieur prétendu arrivé mais qui heureusement pour lui se considère toujours comme un commençant et je me sens rudement plus jeune que la plupart des jeunes gens qui m’entourent et auxquels j’essaye sans succès de communiquer un peu de mon vieux feu sacré. J’ai beaucoup travaillé loin ces temps-ci et j’espère avoir fait de tous petits progrès, malheureusement on est toujours si pressé avec ces sacrés portraits que l’on ne peut pas toujours faire tout ce que l’on voudrait. Pour me reposer, j’ai accepté une décoration : deux plafonds et un panneau ; ça me semble une véritable distraction, ça n’est pas payé, mais, je trouve ça délicieux comme un dessert charmant après un repas un peu trop copieux. C’est Nenat qui m’a donné ça, comme je le vois demain matin je vais tâter le terrain pour savoir s’il n’y aurait rien pour toi dans l’hôtel qu’il construit en ce moment. On peut faire tout ce que l’on veut ce qui est rudement gentil. Je peut engueuler mes modèles au lieu d’être engueulé par eux.
Pendant un mois je vais me reposer, nous allons à Deauville avec toute la marmaille, y compris la petite gosse qui règne en … blonde et adorable sur toute la maison. Ce n’est pas un endroit de tout repos mais c’est encore un endroit où l’on est distrait. Là je ne pourrais m’empêcher de peindre au bout de huit jours.
Je suis content dans mon vieux nid ; chaque année je l’embellis et cela me procure des joies enfantines. Il faudra qu’en septembre tu viennes nous dire bonjour et fumer la bouffarde de l’amitié. Vie calme ici, vie très douce au milieu de tous ces êtres charmants qui font autour de ma vie comme une couronne de bonheur. En devenant vieux le foyer, ainsi paré nous semble encore meilleur, plus chaud et réconfortant. Rappelles moi au souvenir de ta délicieuse camarade, je vois sa joie devant toutes les splendeurs de la ville des Doges, elle est bien faite pour les comprendre, avec son cœur charmant et son sens inné des choses d’art, mets moi à ses pieds, et crois à ma vieille et sure affection.
Ton François Flameng ;
Tous les miens t’envoient leurs souvenirs ».
Notes du transcripteur :
(1) François Flameng avait acquis une propriété dans le village de Septeuil, situé à 14 km au sud de Mantes-la-Jolie.
(2) Edouard Rosset-Granger profita de son séjour à Venise pour faire des copies à l’huile sur des petits panneaux d’œuvres de Carpaccio ou Paris Bordonne.
Lettre du 20 octobre 1921
Quatre demi-feuillets manuscrits)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« La Tourelle – Septeuil (S. & O.)
Mon bon vieux,
Je ne puis assez te dire combien j’ai été heureux et ému de la bonne lettre ; dans ma solitude (1), après un sale été, elle m’est arrivée comme un rayon de soleil, comme quelque chose de très … et de très doux. C’est aussi toute ma jeunesse qui renait et l’atelier Cabanel et toute notre vie passée côte à côte, notre vie si vie passée ! Je suis devenu si sauvage, si solitaire, si dégoûté de tant de gens qu’un signe affectueux d’un vieux compagnon, qui me connait, me touche infiniment. Ne vas pas croire que je joue les mulots. Oh non ! Grand Dieu, je ne me plains pas ; la vie pour moi a été belle et magnifique ; je me rends compte de mon bonheur, ce qui est l’essentiel et je me trouve encore un mortel bougrement aimable.
J’ai gardé de l’enthousiasme comme un jeune homme et j’aime de plus en plus cette sacrée peinture qui me passionne et me fait enrager. En vieillissant je regrette parfois de me sentir toujours si détesté mais lorsque l’on a une dizaine d’amis comme toi et même moins, cela suffit à alimenter le cœur d’un vieux rossard.
J’ai passé un fichu moment, cet été ; je traine depuis six mois une vilaine blessure au petit doigt ; blessure que mon diabète empêche de cicatriser ; avec mon habitude de traiter mes maladies par le mépris, je n’y ai guère fait attention mais voila que ça s’est gâté, mon pied et ma jambe ont commencé à s’infecter. Il à fallu se fourrer au pieu pendant un mois et me mettre à un régime ultra sévère. Je devais avoir près de quatre cents grammes de sucre, un rien, quoi ! Je suis descendu à soixante et j’espère être à zéro d’ici un mois. J’espère ainsi garder mon doigt de pied ; oh, il n’est pas joli : mais comme je ne montre plus mes abattis aux dames cela n’a plus d’importance. J’ai eu la chance d’être bien soigné mais il était temps. N’importe quelle opération était dangereuse. J’ai bien réfléchi aux destinées humaines dans mon pieu et j’étais décidé à m’en aller gentiment, en laissant de quoi boulotter aux gosses, mais je t’assure que j’aime encore mieux être là. La vie est une sacrée belle chose et je veux mener à bien une sacrée entreprise parmi les plus magnifiques qui m’est tombée au moment ou je m’y attendais le moins et qu’il faut avoir un fameux toupet pour entreprendre à mon âge toute la décoration de la salle d’honneur des Invalides. 480 mètres à couvrir. En avant les échelles ! Quelle joie ! Je burine mes esquisses et je m’amuse mieux que lorsque j’avais 20 ans. 24 mois je ne suis devenu neurasthénique. Tu devrais venir déjeuner le jour que tu voudras sauf jeudi, dimanche en huit si vous voulez. Le train de 8 heures vous déposerait à Mantes où l’auto vous chercherait et vous repartiriez pour 5 h 30 et vous seriez à Paris pour dîner. Ma fille serait très heureuse que tu passes lui faire le plaisir de venir ici. C’est admirable en ce moment. L’on te montrera les ruches et les 500 cochenilles des enfants.
Adieu vieux,
François Flameng (2).
Mon souvenir à ta déesse ! ».
Notes du transcripteur :
(1) Après le décès d’Henriette Turquet, son épouse, en 1919, François Flameng vend l’ensemble de ses collections, comprenant des Chardin, Van Dyck, La Tour, Rembrandt… Un catalogue est publié à cette occasion par la Galerie Georges Petit.
(2) François Flameng, né le 6 décembre 1856 à Paris, décèdera le 28 février 1923 à Paris des suites d’une amputation d’une jambe qui s’est mal finie en raison de son diabète. Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur le 11 juillet 1885, puis officier le 26 juillet 1896 et enfin commandeur le 30 septembre 1920.
Lettre de Pierre Georges JEANNIOT à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre datée du lundi (courant juillet 1900)
(Deux-demi feuillets manuscrits)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« Arsonval (Aube), Lundi
Mon cher ami,
Ta lettre m’a été au cœur. Car je te vois, toi aussi d’après ce que tu m’apprends, bien à plaindre. J’espère pourtant pour toi et pour Madame Rosset-Granger que cette maladie dont tu me parles, pourra être enrayée et je fais pour cela les vœux les plus sincères, car cette séparation est un affreux déchirement. Toi qui est un bon et tendre fils tu comprends toute l’étendue du mot que j’écris ici ; et tu as déjà mesuré l’affreuse consternation dont on est la proie. C’est un odieux cauchemar dont la réalité vous poursuit. J’ai quitté ma maison, je ne pouvais plus voir les meubles, les endroits, car ma pauvre mère m’a été enlevé en vingt quatre heures.
Merci encore, mon cher ami, tu es un brave cœur.
Georges Jeanniot ».
Note :
Cette date est une réponse aux condoléances d’Édouard Rosset-Granger faisant suite à la mort de Madame Jeanniot, née Caroline Forey, la mère de Pierre Georges Jeanniot. Cette lettre fait aussi état de la maladie de Madame Marie Adrienne Rosset, la mère d’Édouard Rosset-Granger qui décédera quelques jours plus tard le 28 juillet 1900.
Lettres de Pascal DAGNAN-BOUVERET à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre du 28 janvier 1928
(Deux-demi feuillets manuscrits au crayon noir)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« Mon cher ami,
Vous êtes très gentil de vous inquiéter de moi. Je commence à être mieux. Je me remettais après six mois de misères diverses qui m’avaient empêché de travailler tout l’été, quand fin décembre une syncope me fit cesser tout travail. Depuis je vis à la chambre m’exhortant à la patience !…
Ne devons nous pas nous redire sans cesse qu’ayant été artistes, nous avons été parmi les heureux de ce monde ?
On me tient encore ici pour une quinzaine.
Très cordialement.
Hommages de sympathie à Madame Rosset-Granger.
Pas. Dagnan-Bo ».
Lettre du 31 mars 1928
(Un demi-feuillet à l’encre violette)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« Quel gentil confrère vous êtes mon cher Rosset-Granger à distraire un vieil ami souffrant en le rassurant de ses envois du Cercle et en lui narrant vos essais d’art indépendant… Merci ! Un de ces jours avant six heures, montez donc me serrer les mains, ça me ferait plaisir de voir votre bonne figure au fin sourire. Ça m’aiderait à raffermir mon si vif désir de me remettre sur pieds. Il me semble que j’ai encore quelque chose à dire ?… O Douce illusion qui me berce jusqu’au bonheur !
Très cordialement à vous.
Respectueux hommage à Madame Rosset-Granger.
Pas. Dagnan-Bo ».
Lettre du 14 avril 1929
(Un demi-feuillet à l’encre violette, d’une écriture cahotante et presque illisible du fait de la maladie)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« Dimanche,
Cher ami,
Je sais que vous aimez la peinture. Chez moi depuis ce Noël j’ai le portrait de Jean Bucelor ( ?) que je considère comme une amère … Visite tous les jours Avenue Nicol. Avis à vous Rosset-Granger.
Vives amitiés.
Pas. Dagnan ».
Notes du transcripteur :
Les trois cartes-lettres de Pascal Dagnan-Bouveret provenaient de son domicile parisien. Lors de la rédaction de la dernière, il était très malade et pratiquement incapable d’écrire. Il devait décéder deux mois et demi plus tard, le 3 juillet 1929 dans sa propriété de Quincey près de Vesoul.
Lettres d’Édouard DETAILLE à Paul Édouard ROSSSET-GRANGER
Carte d’Édouard DETAILLE datant de juillet ou août 1897.
Carte adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.
Cette carte est une réponse aux félicitations adressées par Édouard Rosset-Granger peu après qu’Édouard Detaille soit fait Commandeur de la Légion d’honneur le 14 juillet 1897.

Lettre d’Édouard DETAILLE du 3 mai…
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

« A l’en-tête du Cercle de Union Artistique,
Mon cher ami,
Votre témoignage me fait grand plaisir venant d’un artiste et d’un ami comme vous, et dans le remerciement que je vous adresse vous en offrirez une part à une charmante amie qui à l’œil très artiste.
Une lettre comme celle que vous m’envoyez remplace toutes les médailles : j’ai été très touché, je vous le dis, et de grand cœur.
Edouard Detaille, 3 mai ».
Lettre de Guillaume DUBUFE à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre du 21 février 1882
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« 21 février 1882,
43 avenue de Villiers
Cher ami,
Gounod m’invite à t’envoyer l’autographe charmant que voici. Le cher maître est quoiqu’il dise, jeune et ardent toujours. Croquons-la mon vieux, de notre mieux du moins et le vent de ses ailes nous fera monter plus haut avec lui. Nous ne sommes pas à Lourdes, que diable ! que nous retombions à terre !
Moi je travaille sans relâche, et j’ai bon espoir, Samedi, oui samedi enfin mes 2 toiles partent. Bon voyage ! je te conterai cela – le cadre est fait merveilleux de trompe l’œil ! les sorties sont bien… je n’ai que le temps de t’embrasser comme je t’aime.
Je ne puis plus écrire tant ma main est rendue nerveuse par le travail des grandes choses à couvrir.
A Bientôt, ton frère. G. Dubufe
Je t’envoie en même temps le billet de faire-part de Mlle Clair … Oui : Quelle lune de miel ! et quel tunnel à percer !- Tu enverras tes amitiés, n’oublie pas ».
Carte de visite d’Eugène CARRIÈRE à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Carte du 22 août 1901
Carte adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

Carte pneumatique des frères Albert et Henri GUILLAUME à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Pneumatique datant du début janvier 1898.
Pneumatique adressé à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


Cette carte pneumatique de félicitations correspond à l’obtention par Édouard Rosset-Granger de sa croix de chevalier de la Légion d’honneur par décret en date du 31 décembre 1897.
Carte de Pierre PUVIS DE CHAVANNES à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Carte du 17 mai 1896
Carte adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


Lettre de Jules MASSENET à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre non datée
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.

Lettres d’Édouard BOURDET à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre non datée mais écrite certainement fin 1908
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« Samedi,
16 Rue Matignon,
Mon cher Rosset,
Je ne sais si vous avez déjà la sensationnelle nouvelle que j’aurais pourtant beaucoup voulu vous annoncer moi-même avant que la rumeur publique ne l’apporte jusqu’à vous. Je n’ai pas su trouver jusqu’ici une minute pour aller vous voir. Rosset, je vais me marier! J’ai vingt et un ans et je me marie! Celle que j’épouse est plus âgée que moi et je me marie … ! Je ne connais rien ou pas grand chose de la vie et je me marie … ! Mon caractère semblait me destiner au plus endurci célibat et je me marie … ! Vous connaissez ma fiancée, c’est Catherine Pozzi, « la grande Catherine ». Vous comprenez bien que dans la décision que j’ai prise je n’ai vu autre chose que le moyen d’unir à la mienne la vie de celle que j’aime depuis longtemps plus que tout au monde.
Vous ne me jugerez peut être pas aussi sévèrement que certains des miens, mais vous aurez sûrement une très grande pitié pour que qu’on est convenu d’appeler « une bêtise ». Pourtant j’ai fais cette bêtise avec toutes mes forces et c’est l’avenir qui se chargera de me donner tort ou raison…
Quelque soit votre jugement, je désirais que vous fussiez un des premiers à connaître la nouvelle. Excusez moi si une indiscrétion des journaux a part suite de la notoriété de mon futur beau-père ébruité la nouvelle plus tôt que je ne l’aurais voulu et ne me permettant pas de la faire connaître auparavant à ceux que j’aime.
Je vous envoie l’assurance de tout mon affectueux attachement.
Édouard Bourdet ».
Notes :
Édouard Rosset-Granger était un intime de la famille Bourdet-Vallée. Il connaissait très bien Fernand Bourdet, né la même année que lui en 1853, et son épouse Marguerite Vallée née en 1860, les parents d’Édouard Bourdet né en 1887.
Édouard Rosset-Granger dessina et peignit à plusieurs reprises Fernand et Marguerite Bourdet.
Édouard Bourdet, auteur dramatique et journaliste français, écrivit 13 pièces de théâtre, toutes jouées de son vivant. En janvier 1909 il se marie avec Catherine Pozzi (1883-1934), poétesse et femme de lettres, fille de Samuel Pozzi (1846-1918), chirurgien et gynécologue. De cette union naitre Claude Bourdet, future grande figure de la Résistance en France. En 1936, Édouard Bourdet est nommé Administrateur de la Comédie Française et quittera ses fonctions à l’arrivée du Maréchal Pétain en juin 1940. Il décédera en 1945.
Lettre du 13 mai (courant des années 1920)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


« 13 mai,
171 Quai d’Orsay,
Mon cher ami,
J’ai trouvé en rentrant d’un voyage au Maroc la lettre si affectueuse que vous m’avez envoyée pour ma rosette (1). Elle m’a été droit au cœur comme tout ce qui me vient de vous et me rappelle l’époque lointaine et heureuse à laquelle votre nom est si intimement associé.
Une décoration n’a de valeur que par la façon dont elle est accueillie parmi ceux que l’on aime et l’on estime. C’est vous dire le plaisir que j’ai à savoir que vous ne trouvez pas la mienne injustifiée.
Croyez à ma fidèle et reconnaissante affection. Mes hommages, je vous prie, à votre femme.
Édouard Bourdet ».
Note :
(1) Il s’agit de la croix de chevalier de la Légion d’honneur attribuée à Édouard Bourdet.
Lettre de la Princesse MATHILDE à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Lettre datée du 17 avril (1898 ?)
Lettre adressée à Édouard Rosset-Granger à son domicile parisien.


Lettre sur papier à en-tête de l’abeille couronnée de la Princesse Mathilde demandant à Édouard Rosset-Granger de lui donner un dessin signé par lui au profit d’une tombola qu’elle compte organiser avant la fin du mois de Mai.
Cette lettre datée du 17 avril a été écrite très probablement en 1898.
Notes :
La Princesse Mathilde (Mathilde Létizia Wilhelmine Bonaparte), née à Trieste (Italie) le 27 mai 1920 est la fille de Jérôme Bonaparte. Elle épouse le comte Anatole Demidoff en 1911 mais s’enfuit à Paris peu après en raison des infidélités constantes de son époux. La séparation officielle est prononcée en 1847 par l’Empereur de Russie Nicolas 1er. Elle bénéficie d’une rente mensuelle très confortable.
Après l’accession au trône de Napoléon III, son cousin, elle fait office de maîtresse de maison du Palais de l’Élysée. Elle tient un salon littéraire très couru, fréquenté notamment par Édouard Rosset-Granger, Louis Ganderax ou Marcel Proust.

Photographie de la Princesse Mathilde signée et dédicacée à Édouard Rosset-Granger.
Carte de visite de la Princesse Mathilde fixant rendez-vous à Édouard Rosset-Granger le dimanche soir 8 mars (189…) à 9 h ou à 9h et demi.
Sonnet de Louis GANDERAX à Paul Édouard ROSSET-GRANGER
Sonnet daté du 16 février 1878

« A Édouard Rosset,
Tes yeux ayant des miens gagnés la confiance,
Ils y lisent ainsi qu’en un chiffre caché
De quel souci constant se fait l’insouciance
Où mon cœur chaque jour semble mieux retranché.
Mon amour sans appui este sans défaillance ;
Les sens ont pu trahir, l’âme n’a pas bronché :
Telle une vierge, veuve au jour qu’on la fiance,
S’attache au souvenir de son espoir fauché.
La chair est à notre âge insoumise et traitresse,
Hélas ! Mais je n’ai pas trouvé d’enchanteresse
Dont le baiser subtil me soit au cœur allé ;
Mes amis l’autre jour m’avaient cru consolé :
Eh bien ! Veux-tu savoir jusqu’où va ma détresse ?
Parce qu’elle m’aimait j’ai chassé ma maîtresse !
Louis Ganderax,
16 février 1878 ».
Notes :
Charles Étienne Louis Ganderax (né le 25 février 1855 à Paris, décédé le 16 janvier 1940 à Croissy-sur-Seine), journaliste et critique de théâtre, co-fondateur de la Revue de Paris avec Henri Meilhac , et son frère Pierre Etienne Ganderax, diplomate français (né le 11 novembre 1857 à Paris, décédé le 1er mars 1944 à Paris), officier de la Légion d’honneur par décret daté du 20 octobre 1911, étaient des amis intimes d’Edouard Rosset-Granger, qui fit leur portrait dès 1879 (Exposés à la Société des Artistes Français en 1879 sous les numéros 2598 et 2599.